LU YU ET LE CLASSIQUE DU THÉ

Lu Yu fut le premier au monde à avoir écrit un traité sur le thé. il apporta avec son oeuvre, le classique du thé, Cha Jing, une portée culturelle et mystique du thé, élargissant le simple contexte d’un remède médicinal ou d’une boisson anodine. Avant lui, le thé était considéré comme une boisson dénuée d’intérêt culturel. ilfut l’instigateur d’un véritable engouement culturel qui devait se propager jusqu’a nos jour. Il rédigea une autobiographie Ma biographie de Lu Wenxue, qui est aussi une référence historique et un ouvrage de haute valeur littéraire. Outre le classique du thé, il semble qu’il ait écrit une multitudes d’autres ouvrages d’un intérêt tout aussi capital. Malheuresement , beaucoup de ces ouvrages ont été perdus. Dans l’un de ces ouvrage Appréciation des eaux de source, il aurait recencé et écrit vingt sources différentes dont l’eau était d’une pureté supérieure. Certaines de ces sources sont aujourd’hui encore restées célèbres. Dans la province du Jiangsu, l’une d’elle fut même rebatptisée  » Printemps de Lu Yu ». C’est une grande malchance que ces ouvrage soient de nos jour perdus. Même les éditions du classique du thé qui sont actuellement disponibles sont tardives et date de la dynastie des Ming (1368-1644). Son importance ne fut soulignée qu’en 1735 lorsque Lu Ting Can rédigea une encyclopédie en dix volumes : Complément du classique du thé, développant l’original, ajoutant des extentions et des illustrations.  

LE THÉ Á L’ÉPOQUE DE LU YULES MOTS DU THÉ …   Il existe une grande controverse quant à déterminer exactement à quelle époque le thé fut connu en Chine. Cependant, il semble acquis que le premier mot pour désigner le thé aurait été Tu, qui désignait une  » herbe amère ». Les premières mentions de l’usage du Tu remontent au VI éme siècle avant J.C., au temps de Confucius (551-479 av-J.C.)   Avant que Lu Yu n’écrive le traité du thé, il existait une dizaine de termes se référant au mot thé, le plus usué et le plus commun étant Tu. Dans le premier chapitre qui traite des origines, Lu Yu nous dit ceci  » Le caractère thé peut s’écrire avec l’élement de l’herbe, ou du bois, ou parfois les deux. On peut l’appeler Cha, Jia, She, Ming, ou Chuan« .   Sous la dynastie des Tang, la culture du thé se développa, On utilisait de plus en plus le mot Tu. Ce mot ayant un sens trop vague et comprenant de trop nombreuses définitions, il devint nécéssaire d’attribuer au thé un terme spécifique. On enleva un trait au caractère Tu pour former Cha. Ce dérivé fut communément adopté, le mot Cha fut ainsi admis comme terme unique pour désigner le thé. Depuis l’époque de Lu Yu, ce terme resta acquis et ne devait plus connaître de changements.  

DE L’IMPORTANCE DU THÉ …     A partir du IV ème siècle, le thé est reconnu et apprécié pur ses vertus médicinales. Sous les Tang, l’empereur Tai Zong (762-779) mit en place le tribut du thé : chaque année les paysans payaient le tribut dû à l’empereur avec du thé. Ce tribut resta en vigueur j’usqu’à la dynastie des qing (1644-1911). Lorsque Lu Yu rédigea le classique du thé, cette boisson était déja largement consommée depuis longtemps par toutes les classes de la population. Le thé devint même si populaire que les taoïstes déclaraient que c’était un élément indispensable à la confection de l’élixir d’immortalité. Gâcher un bon thé à cause d’une incompétence était considéré comme l’un des trois actes les plus déplorables au monde. Les deux autres étaient : une mauvaise éducation des jeunes et ne pas savoir apprécier une belle peinture.  

UN ART DU THÉ…     Le thé n’a pas toujours été consommé sous sa forme actuelle. A l’époque de Lu Yu, il se consommait sous une forme compressée, appelée « gateau de thé » ou en poudre. on distinguait quatre manières de l’apprécier : Le thé bouddhiste : on versait du thé en poudre dans une bouteille remplie d’eau bouillante. Puis on y ajoutait des épices (gingembre, menthe), des écorces de fruits (clémentine, orange), des poireaux ou des oignons. Le tout était laissé à bouillir un certain temps. Le thé aux gâteaux : On mélangeait du thé avec du sucre et du gateau. Ce genre de thé était consommé lors des cérémonies et des fêtes. Le thé de banquet : On buvait le thé tout en dégustant des fruits et des sucreries, on déclamait des poèmes, appréciait des peintures et des calligraphies, on s’offrait des cadeaux. Le thé de dégustation : On buvait le thé de la manière la plus simple, sans manger. On focalisait l’attention sur les ustensiles, l’eau, la préparation, la qualité des invités, l’ambiance… On recherchait le beau le noble et l’élégance en faisant des vers à la gloire du thé.  

LU YU : UN NOM PRÉDESTINÉ…     Lu Yu avait un autre nom : Hong Jian qui signifiait littéralement :  » l’oie sauvage avance ». Ces deux noms lui furent donnés par son maître qui après avoir consulté le « livre des Mutations » ou Yi Jing, tira par divination l’hexagramme n° 53 Jian « Progrès Graduel ». L’explication de cet hexagramme est la suivante : « L’oie sauvage (Hong) se dirige progessivement (Jian) vers la rive (Lu). » « Ses plumes (Yu) peuvent être utilisées pour la danse sacrée.  » L’hexagramme Jian était un signe de bon augure.  

UNE ENFANCE DIFFICILE …     Né en 733, dans la province du Hubei sous le règne de l’empereur Xuan Zong (712-756), Lu Yu était orphelin. Li fut recueilli par le supérieur d’un temple bouddhiste. Lu Yu apprit pendant dix ans l’art d’être maître de thé. Il apprit à maîtriser le feu, la température de l’eau, le temps d’infusion. L’art du thé était très prisé chez les moines qui en buvaient régulièrement pour chasser le sommeil et la privation de dîner avant les longues heures de méditation.   Elevé dans un univers reclus et austère, il finit par se rebeller contre la discipline sévère imposée par son maître, qui avait pourtant fait de lui un observateur de talent. Toujours en quête d’une identité et désirant fonder une famille, il était profondement marqué par la pensée de Confucius.   A l’âge de 13 ans il délaissa les canons bouddhistes et intégra une troupe de comédiens ambulants, qui représentaient à cette époque la classe sociale la plus basse. Comme scénariste il connut le succès, mais il trouva que sa vie n’avait pas grand intérêt. Il quitta la troupe pour se placer aux côté de fonctionnaires qui lui fournirent une grande éducation, lui apprirent la musique, la littérature, la vie et développèrent son amour pour le thé.  

UNE NATURE SOLITAIRE…     Devenu un homme cultivé d’une grande intelligence et d’une grande sensibilité, il devint reconnu parmi les lettrés de l’époque. Cependant, sur le plan personnel, Lu Yu n’était pas satisfait. Il avait de grands projets mais aucun ami pour l’aider à s’élever dans la hiérarchie sociale. Il ne connaissait même pas ses parents et n’avait pas de famille. Plus il devenait érudit et plus il se croyait incompris et délaissé de la société. Terrassé par un sentiment d’injustice, il se replia et entama une vie triste, solitaire et austère. Il voyagea beaucoup parmi les provinces productrices, se consacra à la littérature et à l’étude du thé. Lu Yu aimait parfois interrompre sa solitude et sa méditation pour recevoir des amis, moines, poètes, ou lettrés autour d’une tasse de thé. Sa vie d’ermite lui permettait de se consacrer à la lecture, la composition de poèmes ou d’écrits.  

LE REFUS DES HONNEURS…     Sa vie fut entrcoupée de rencontres fortuites avec des fonctionnaires qui lui apportèrent un grand soutien dans son étude du thé. Son grand talent lui valu d’être reconnu par l’empereur Dai Zong lui-même, qui le convoqua à la capitale et lui proposa un haut poste au palais. l’empereur De Zong le nomma ‘Supérieur de l’Institut Impériale de la littérature ». Cependant, sa nature solitaire et mélancolique le rattrappa. Il préféra finalement la vie d’ermite aux honneurs, au grand étonnement de tous. Lu Yu était réaliste, il n’avait aucun appui social, et les honneurs étaient donc voués à être éphémères. De plus les charges proposées ne lui assuraient pas de réelles responsabilités.  

LE SAINT DU THÉ…     Lors d’un séjour à Suzhou, au bord du lac Taihu, Lu Yu étudia en profondeur les sources souterraines qui coulaient sous les collines. Ces sources arrosaient les plantations et étaient très bénéfiques à la culture des théiers. Il se consacra à l’analyse du rôle de la pureté de l’eau pour la culture des théiers et de son importance pour la préparation du thé. Il détermina une méthode scientifique. L’empereur eut connaissance de ses travaux et el convia à la capitale. Lu Yu fut prié de préparer un thé de Suzhou aves de l’eau de source. L’empereur fut comblé à tel point qu’il lui décerna le titre honorifique de « Saint du Thé ». Cette marque d’honneur est encore inscrite dans les annales historiques de la ville de Suzhou et dans les annales du thé.   LA PHILOSOPHIE DE LU YU     Lu Yu a toujours aspiré à une vie d’ermite taoïste. Il a grandi en suivant les sévères principes bouddhiste de son maître. Pourtant, toujours en quête d’une identité, il est fondamentalement attiré par les principes du confucianisme. L’influence du bouddhisme n’a pourtant jamais quitté Lu Yu, qui avait pour amis proches des moines et des lettrés bouddhistes. Ainsi, sa pensée philosophique fut variée.  

DE LA MODÉRATION…     Dans son classique du Thé, Lu Yu appelle à la modération. Il fait l’éloge du thé car celui-ci mène à la modération. Il conseille de toujours le boire comme si c’était la vie elle-même, sans en dissiper la saveur. « Ne buvez jamais plus de trois tasses à moins que vous ne soyez réelement assoifé » La modération est l’un des cinq principes de la morale confucéenne. Sous la dynastie des Tang, les ustensiles en or, en argent ou en jade étaient très populaires dans les foyers les plus riches. Cependant, Lu Yu préconise l’emploi d’ustensiles en terre cuite. Il avait toujours à l’esprit les principes d’économie et d’efficacité.  

LE MIROIRE DE L’ÂME…     Pour les chinois, chaque instant de joie ou de peine est fondamental car il constitue le fil de la vie et mérite qu’on s’y attache. Pour Lu Yu, l’acte de faire du thé est un moyen comme tant d’autres de célébrer la vie : l’instant du thé doit être vécu aussi intensément que si c’était le premier et le dernier. L’acte de boire du thé doit etre beau. L’environnement, la préparation, les ingrédients, le thé lui-même, le bol, et el reste des ustensiles doivent être une représentation extreme de sa propre harmonie intérieure. Peu importe qu’une porcelaine soit très rare et très chère si sa couleur ne convient pas, il faut la bannir de l’équipage. Le thé doit être choisi pour sa délicatesse et l’eau pour sa pureté. Même l’équipement réservé à la manufacture du thé ne doit souffrir aucun manque d’attention.  

UN RITUEL PRÉCIS…     Pour les confucéens, le rituel est essentiel pour une bonne vie. C’est la représentation extérieure d’une éthique personnelle. L’ordre dans l’équipage, l’ordre dans lequel les ustensiles apparaissent dans la préparation, l’ordre avec lequel on a pris rendez-vous avec ses invités, tout concours à créer une harmonie entre l’hôte et son invité et entre les invités eux-mêmes. Et pour les chinois, là où règne l’harmonie règne la beauté. Lu Yu fut le premier à suggérer que le rituel qui consiste à préparer et à boire le thé représnte un code d’harmonie symbolique et d’ordre, qui reflète les idéaux du cosmos et de la société.   Tout au long du classique du thé, Lu Yu insiste sur l’importance du rituel lorsqu’on boit le thé. L’eau doit boullir au degré près, le thé doit être testé et gouté avant d’être soumis à l’infusion. Le thé doit subir neuf étapes pendant la manufacture et sept durant la préparation. Il y a vingt quatre ustensiles et chacun doit être utilisé au moment propice. Le rituel est si important que si un des ustensiles vient à manquer, il vaut mieux remettre à plus tard la préparation. Quand le thé est cueilli, l’eau choisie, déterminer qui sera la personne invitée est également d’une importance cruciale. Lu Yu considère comme impensable qu’un invité ne vienne pas, et si tel était le cas, la qualité du thé serait insipide.  

LE THÉ PAR LU YU…     « Trois sont les espèces qui naissent entre le Ciel et la Terre : celles qui sont dotées d’ailes et qui volent, celles qui sont couvertes de poils et qui marchent, et celles qui ont une grande bouche et qui parlent. Pour vivre, toutes les espèces ont besoin de boire et de manger. Les circonstances dans lesquelles ont boit ont des motifs profonds : pour étancher sa soif on boit de l’eau, pour réconforter la mélancolie, on boit du vin, pour chasser la torpeur et la somnolence on boit du thé » Lu Yu, Cha Jing, III, 6 « Dégustation ».

LE CLASSIQUE DU THÉ    Le classique du thé se divise en trois parties et en dix sections. C’est avec une vision sérieuse et scientifique qu’il entreprit des recherches et des analyses. Cette rigueur fait de cette oeuvre un don précieux pour l’art du thé. Tout au long de sa vie il travailla à corriger et à parfaire son manuscrit.   A l’initiative de Lu Yu, le thé remplaça petit à petit l’alcool lors des cérémonies de fête et dans les repas entre amis. Véritable fléau à l’époque, l’alcool était omniprésent dans les milieux littéraires et culturels. Nombre de poètes et de lettrés déchus sombraient dans l’alcoolisme. Il amena les intellectuels à une vie plus sobre. Ce fut le début d’un changement de moeurs dans la société et le thé devint plus consommé que l’alcool. On imposa le thé jusque dans les banquets impériaux.  

PREMIÈRE PARTIE :  I. Origines (origines, caractéristiques,noms et qualités de thé)   II. Outils (les outils pour cueillir et manufacturer les feuilles)   III. Manufacture (les variétés de thé, la cueillette et la manufacture)  

SECONDE PARTIE :  IV. Equipage ( ustensiles pour préparer et boire le thé. Sont aussi décrits les matières des ustensiles, leur taille et leur fontion).  

TROISIÈME PARTIE :  V. Infusion (méthode pour faire le thé et description des eaux de différents endroits)   VI. Dégustation (origine du thé comme boisson, sa propagation, coutumes de thé)   VII. A propos du thé (histoires et légendes du thé avant la dynastie des Tang)   VIII. Régions de production (quels sont les meilleurs thés selon les divers endroits)   IX. Généralités (quels sont les ustensiles qui peuvent être omis)   X. Plan de l’ouvrage (Comment copier l’ouvrage sur les rouleaux de bambou afin d’en faciliter la compréhension)  

L’ART DE LU YU…     Lu Yu se consacra à l’étude de l’infusion et de la dégustation, à l’art de savourer les délices du thé et de la poèsie. Avant lui, boire le thé était associé au fait de prendre un repas car il était préparé à la façon d’une soupe consistante accompagnée de gâteaux et de fruits. Il instaura un art du sublime et du raffiné : boire le thé sans perdre de collation, car cela nuisait à la saveur du thé, pensait-il.   Son art de la préparation se divisait en neuf procédures : moudre le thé, préparer l’eau, allumer le feu, saler l’eau, mettre le thé dans l’eau bouillante, faire mijoter, diviser l’infusion,boire, laver les ustensiles.   24 USTENSILES…     Pour la seconde partie de son ouvrage, Lu Yu dessina et fit fabriquer toute une série d’ustensiles indispensables à l’art de la préparation du thé, art qu’il nommait « méthode Lu ». Ainsi, 24 pièces furent créées dont certaines n’existent plus de nos jour. Cet équipage comprenait un chaudron pour faire bouillir l’eau, qui pouvait être fait de cuivre ou de fer. Il avait la forme d’un vase à trois pieds, comme les anciennes urnes tripodes utilisées lors des cérémonies. Ces trois pieds représentaient l’eau , le vent, et le feu.   Parmi les ustensiles les plus courants on trouve : le foyer tripode, une bouilloire, un tréteau pour fixer la bouilloire sur le foyer, deux moulins à thé, un tamis, une boîte à sel, une mesure à thé, un vase à résidus, un vase à rincer, des brosses, des filtres, des sacs huilés, des paniers en bambou pour ranger la vaisselle, des serviettes de soie pour essuyer les ustensiles, des pinces à thé en métal, des baguettes de bambou, des bols, un plat à sel, un vase à réchauffer l’eau, un marteau pour écraser les morceaux de charbon de bois, des calebasses et une plume d’oie.   Devant un thé avec Zhao Lu   Au pied des bambous, devant un thé rouge j’oublie de parler Ce délice emporte mon ami Lu Yu dans les nuages filants Le coeur lavé de tout soucis lors que la joie est à son comble Nous parvient le chant des cigales perchées dans l’arbre  

Qian Qi